En refermant ce livre, j’ai
eu le sentiment douloureux d’abandonner une bande de copains, une époque.
J’avais oublié mon âge, j’étais repartie dans les années 1990.
Pourtant, les débuts de ma lecture ont été difficiles
car j’étais réticente à entrer dans une histoire qui me faisait revivre ma
propre adolescence. La génération sacrifiée, c’est eux aussi, Anthony, Hacine,
Stéphanie et leur bande d’amis dans la vie du livre où le lecteur les suit
pendant 6 ans, de 1992 à 1998. Mes réticences se sont envolées car Nicolas
Mathieu a su me captiver par son texte qui offre une nouvelle dignité à des
familles de gens simples où « les
hommes parlaient peu et mouraient tôt », qu’elles soient françaises ou
immigrées comme le père de Hacine. Toutes ces familles, les Cassati, les Bouali
les Mougel comme les nomme lui-même l’auteur ont leur lot de chagrins et de
défaites. Licenciés et sans emploi depuis la fermeture des hauts fourneaux de
Heillage, les parents vivotent, les familles se jalousent sous des relents de
racisme. Il n’y a pas de misérabilisme ni de condescendance mais tout sonne
terriblement vrai et juste dans le texte, que ce soit du côté des adolescents
ou du côté des parents. Le roman est riche en détails, en descriptions, et m’a
fait rouvrir les yeux sur l’époque où j’avais une vingtaine d’années.
Au début du roman Anthony a 14 ans, il regarde
son père noyer sa colère dans l’alcool et se disputer avec sa mère. Alors quoi,
bon sang ! « Où était la vie,
merde ?» se dit Anthony.
Avec son cousin, il veut voir les filles de l’autre
côté du lac, surtout Stéphanie qui lui fera connaître son premier chagrin
d’amour que l’auteur m’a fait vivre avec des mots sublimes au bout desquels une
petite flèche m’a laissé une douce empreinte nostalgique.
Avec des copains et son cousin qui n’a pas de prénom,
il veut flirter, boire de l’alcool et fumer des pétards, avoir ses
premières expériences sexuelles, braver les interdits comme enfourcher la moto
de son père, filer droit dans leur quartier qui est leur territoire, vite avant
qu’il ne soit envahi par les îlots de commerces posés là comme des
gros cubes de containers, la nouvelle poudre aux yeux de la société de
consommation et des jours meilleurs.
Ces ados ont des rêves plein la tête, « Hacine se rêvait d’être caïd »
mais ont les poches crevées, ils sont les poèmes de Rimbaud, les enfants
du cercle des poètes disparus, le superbe film de Peter Weir sorti en 1990
justement, mais malheureusement sans le professeur qui les pousse à aller plus
loin, à oser prendre la tangente. Les héros sont Hacine et Anthony, les
amoureux fous de la bécane, querelleurs et bagarreurs depuis le vol d’une moto
qui rythme le livre, dans l’animosité d’une contrariété compréhensible.
Je me suis souvent demandé comment ils allaient régler leurs comptes. La
fin du livre ouvre un champ de possibilités qui me plaît beaucoup. Le
texte respire l’authenticité et la sincérité.
Ces adolescents sont surtout les enfants de leurs
parents. Sur ce point, j’ai beaucoup aimé le regard rempli de générosité
et d’humilité de l’auteur sur la figure parentale, il n’est jamais
culpabilisant mais renforce mon attachement à leur sort. Les voilà aussi
maintenant brutalement et très tôt confrontés à une autre rupture, la fin de
l’enfance de leur enfant « elle
pouvait encore se souvenir de l’odeur de sa tête quand il s’endormait sur ses
genoux, le samedi soir, devant la télé. Comme du pain chaud. Et un beau jour,
il lui avait demandé de frapper avant d’entrer dans sa chambre, et à partir de
là, les choses s’étaient précipitées d’une manière assez inattendue.
Maintenant, elle se retrouvait avec cette demi-brute qui voulait se faire
tatouer, sentait des pieds et se dandinait comme une racaille. Son petit
garçon ». J’ai aimé la vision en miroir, celle des parents et celle
des adolescents liés pour le meilleur et pour le pire.
Pendant 6 années, j’ai aimé les suivre, suivre leur
trajectoire, leurs évolutions personnelles, leurs rêves et leurs déboires. J’étais
avec eux au bord du lac et j’étais aussi en même temps leur mère, une
impression étrange, un bond dans le temps dû aux années écoulées depuis, et à
l’adulte que je suis devenue aujourd’hui. Le temps du livre s’arrête aux 20 ans
d’Anthony en 1998 en pleine coupe du monde de football et je me demande bien ce
qu’il serait devenu à 40 ans en personnage de papier sous la plume talentueuse
de Nicolas Mathieu.
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