Monsieur Toussaint
Louverture est une maison
d’édition qui fait
beaucoup parler d’elle de par la qualité de ses ouvrages – on
citera notamment ces derniers temps la série Anne Shirley, ainsi que
Blackwater, gros succès de l’été. Pour cette rentrée
littéraire, l’éditeur nous offre une réédition de La maison
des feuilles1.
Et c’est un livre qui ne peut se résumer uniquement par son
intrigue de fond.
Pour le fond : un couple et leurs
deux enfants emménagent dans une maison en Virginie. Très vite, des
choses étranges se passent : un placard apparaît là où il
n’y avait rien – placard qui, une fois prises ses mesures
intérieures et extérieures, s’avère plus grand à l’intérieur
qu’à l’extérieur ; un mur se déplace ; un couloir
entier apparaît de nulle part. Navidson, le père, explore
brièvement le couloir et réalise qu’il n’est que l’entrée
d’un gigantesque labyrinthe dont la forme change constamment et où
se fait parfois entendre un grognement. Il demande bientôt à une
équipe d’explorateurs de s’enfoncer dans le labyrinthe.
Pour
la forme : Navidson est photographe professionnel. À
l’emménagement, il a posé des caméras dans la maison, espérant
monter un film sur la façon dont les gens investissent un espace. Il
prendra également une caméra avec lui lors de sa première
exploration, et en fournira à l’équipe d’explorateurs. Lorsque
l’histoire se termine, ces différentes images seront montées en
film, appelé « Le Navidson record ».
Ce film va
être visionné par un homme qui n’a rien à voir avec la famille,
Zampanò.
Obsédé par cette histoire, il va l’analyser, la disséquer, aller
chercher diverses sources, certaines directement liées à
l’histoire, d’autres plus générales mais susceptibles d’aider
à trouver un sens à l’histoire (à titre d’exemple, les
références à la mythologie, et bien sûr au Minotaure, sont
légions). Zampanò aime
les longues analyses. Zampanò aime BEAUCOUP les notes de bas de
page, et les listes.
En réalité, Zampanò meurt au début de
l’histoire. Tous ses papiers à propos du Navidson record sont
alors trouvés par Johnny, un
jeune homme qui va décortiquer ce texte. Johnny aime aussi les notes de bas
de page. Ses notes ont toutefois la particularité de parler beaucoup
de sa propre vie, où on le voit sombrer peu à peu dans la démence.
C’est le résultat combiné du texte de Zampanò
et de Johnny que nous
lisons dans La maison
des feuilles.
Le
texte est dès lors très inhabituel dans sa forme ; ce n’est
pas un roman que nous lisons, mais un essai. Un
essai bourré de notes de bas de page. Il y a des notes
de bas de page dans les notes de bas de page. Et d’autres dans les
notes de notes de bas de page. La
typographie est d’ailleurs différente selon l’auteur de la note
en question.
De
plus, le texte n’est pas uniforme : tantôt essai
« classique », tantôt transcription de vidéo, lettre,
interview, et même partition de musique. Le
lecteur est aussi constamment
ramené au fait que le
manuscrit de Zampanò a
été découvert : il est souvent
précisé qu’il manque une page, que telle partie est illisible,
qu’une autre a été rayée, brûlée, couverte de goudron. Et
la mise en page change également, devenant de plus en plus chaotique
au fur et à mesure de l’avancée de l’équipe dans le
labyrinthe, obligeant même parfois à tourner le livre dans un sens
différent à chaque page abordée.
C’est
donc une expérience de lecture toute particulière qui s’offre à
celui qui ouvre le livre : le renvoi constant à des notes, sous
notes et sous-sous notes de bas de page perd littéralement lecteur
(oui, comme dans un labyrinthe). Les longs apartés de Johnny créent
parfois un sentiment de frustration (comme dans un labyrinthe, non ?)
lorsqu’ils interviennent aux moments cruciaux que
vit l’équipe
d’exploration du labyrinthe.
L’intrigue porte sur un labyrinthe, gigantesque et changeant ;
le livre, dans sa forme
même, s’en fait le
reflet.
La
maison des feuilles
est une lecture inédite, particulière, troublante, mais aussi
brillante. Le lecteur est constamment réquisitionné, mais aussi
manipulé (énormément de références de livres, interviews et
essais sont fausses, cela étant annoncé dès le début. Libre à
vous d’avoir le courage de tout vérifier !). On adhère ou pas,
mais indubitablement, la lecture de La
maison des feuilles
est une expérience qui n’arrive pas souvent dans la vie d’un
lecteur.
La maison des feuilles - Mark Z. Danielewski
Traduction de Claro
Monsieur Toussaint Louverture
702 pages
Le livre sur notre boutique en ligne
1Qui
était déjà sorti chez
Denoël en 2002², mais était épuisé depuis.
2 La réédition de 2013 chez ce même éditeur était également épuisée.³
3 Oui, ces notes de bas de page sont principalement là pour vous mettre dans l'ambiance.
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