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Mort™ - Jean Baret

Mort™ - couverture

Mort™, conclusion de la trilogie Trademark commencée avec Bonheur™ en 2018 et Vie™ en 2019, est enfin arrivé en rayon la semaine dernière. S’il était prévu, et l’éditeur le rappelle d’ailleurs en préface, que les trois tomes puissent se lire indépendamment, on se permettra d’émettre un petit doute tout à fait personnel à ce sujet : le tome peut effectivement se lire seul sans problème, mais ce serait passer à côté d’un certain nombre de références aux précédents. On peut arguer que lire Bonheur™ ou Vie™ après Mort™ peut être une façon d’approfondir l’univers de l’auteur. Cela, seul le lecteur en sera juge.


Si on adopte l’ordre des sorties comme ordre de lecture, Mort
joue parfaitement son rôle d’apothéose de ce qui a été développé par l’auteur. Le récit évolue du point de vue de trois personnages, qui vivent dans trois zones distinctes, séparées par des murs vertigineux, d’une même capitale.
D’un côté Xiaomi, qui vit à Mande-Ville, l’univers
aux allures cyberpunk déjà décrit dans Bonheur™. Là-bas, consommer est non seulement un devoir de citoyen mais aussi une obligation légale, et gare à ceux qui ne dépensent pas assez leurs crédits. Xiaomi est journaliste, et sa ligne éditoriale consiste davantage à générer du clic qu’à exposer une vérité ou une autre (toute ressemblance serait fortuite, etc.).
A Algoripolis, lieu déjà rencontré dans Vie
, réside le citoyen DN493xw, code name Donald Trompe. Là, la vie est purement virtuelle : chaque citoyen vit seul dans son cube de 8m², avale sa pâte nutritive avant de se connecter à son hub et de se mettre à gérer ses temps de vie : d’amour, de travail, de loisirs, d’amitié. Tout ce beau monde est géré par des algorithmes.
La nouveauté de ce tome, c’est la ville de Babel, où vit Rasmiyah. Babel, c’
est la zone où habitent ceux qui fondent leur vie non pas sur des algo ou sur la consommation mais sur la religion. On y trouve des quartiers destinés aussi bien aux musulmans qu’aux pastafaristes. Rasmiyah est chaos magicienne, ce qui lui permet de changer régulièrement de religion, ce qui importe pour elle étant plus son acte de foi qu’une foi envers une divinité précise.
Ces trois personnages, vivant pourtant dans des zones réputées imperméables les unes aux autres, vont
voir leur vie bouleversée par l’apparition de ce que l’on appelle la M-Théorie. Ce sera une remise en question de leur mode de vie et de leurs croyances.

Après la consommation et le virtuel, Jean Baret s’attaque donc au thème de la religion – étant le nouveau sujet du livre, les chapitres dédiés à Rasmiyah sont souvent plus longs. L’exercice était risqué, et il est de mon humble point de vue entièrement réussit.
Le point de vue critique abordé par l’auteur a le mérite d’une certaine objectivité, sans donner de leçons, sans prendre parti. L’auteur pointe néanmoins là où ça fait mal, et le point de vue du personnage de Rasmiyah, qui vivote de religion en religion, était finalement idéal pour aborder l’universalité de la religion, leurs points communs, et leurs incohérences.
Si ceux qui ont lu les tomes précédents marcheront en terrain connu pour ce qui est des deux autres
secteurs, avoir abordé l’histoire par le prisme d’autres personnages aux caractères bien différents de ceux des deux autres tomes permet tout de même d’éviter une redite qui pourrait être source d’ennui pour le lecteur. Quelques différences sont même facilement identifiables (la frontière entre les différents tomes étant floue, on restera sans savoir s’il s’agit réellement du même univers que les dits tomes, ou si la chronologie est juste différente). Donald reste différent du mémorable suicidaire du tome 2, Xiaomi est loin du chasseur de fraudes à la consommation du tome 1.
Enfin, on retrouve toute la saveur qui a rendu les deux autres tomes inoubliables pour ceux qui les ont appréciés. Le style de Jean Baret est sans doute particulier à aborder, la répétition montrant l’absurde, et tout va droit au but. Il ne faut pas non plus s’attendre à des pages d’action et de course-poursuite : la trilogie Trademark, c’est aussi de la philosophie, une réflexion sur notre vie du XXIème siècle et ce qu’elle pourrait bientôt devenir, et le récit a l’art de sembler absurde à première vue avant que, en y regardant de plus près, on y trouve un peu trop de similitudes avec nos modes de vie actuels pour ne pas en ressentir une certaine gêne.

Souvent, quand il s’agit d’une série, on finit par être déçu, pas assez surpris, un peu lassé. Ce n’est pas le cas ici, le triptyque se referme avec brio, et le seul regret de ceux qui apprécieront l’œuvre sera sans doute de se dire qu’elle est terminée. Trademark est, depuis son premier volume en 2018, un OVNI dans le paysage des littératures de l’imaginaire, et un must-read pour quiconque apprécie le genre. Ceux qui y sont d’habitude imperméables ne devraient pas passer leur chemin pour autant, tant les thèmes abordés sont universels et proches de nous. Le texte ne plaira pas à tout le monde, mais il marquera sans doute la majorité de ceux qui s’y risqueront.

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