J’étais comme vous.
Confortablement installé
devant mon écran 19 pouces, dans mon fauteuil de bureau en imitation cuir, je
taillais la zone, ma zone, l’Amazon, cliquant à gauche, cliquant à droite,
remplissant mon panier de belles images
de couvertures.
Quelques jours après, ma gentille factrice déposait
délicatement au fond de ma boîte aux lettres mes petits paquets, que je
m’empressais d’aller chercher, affrontant le monde extérieur de ma porte d’entrée
jusqu’à ma boîte aux lettres, à l’aller comme au retour.
Je rentrais alors chez moi, fatigué mais ravi,
m’empressant d’ouvrir mes paquets, de découvrir mes livres, bien plus jolis que
sur mon écran 19 pouces, pour finir inévitablement par les dévorer, au choix,
affalé sur mon canapé Ikea, allongé sur mon lit ou assis sur mon trône…
J’étais comme vous.
Et puis il est arrivé.
Il, c’est mon libraire. Il a ouvert sa petite librairie
dans une ville à deux pas de chez moi.
Comme quelques curieux, j’y suis entré. C’était un
endroit magique, qui sentait bon le livre.
Ce qui m’a marqué en premier chez lui, c’est que ses
livres n’étaient pas que des livres de supermarché, pas que des meilleures
ventes d’Amazon. Je lui en ai fait la remarque.
Alors il m’a souri. Il m’a demandé ce que j’aimais
lire. Il m’a dit ce que je pourrais aimer lire. Il m’a conseillé, on a parlé,
beaucoup de livres, mais d’autres choses aussi. De belles choses. De choses
dont je ne pouvais pas parler devant mon écran 19 pouces.
J’en suis sorti transformé.
Ainsi, on pouvait acheter des livres autrement.
Pour le même prix que sur Amazon, on pouvait avoir en
plus un sourire, des conseils personnels et avisés. On pouvait avoir un vrai
échange. Un contact humain.
J’en suis sorti avec la ferme intention d’y revenir.
Et j’y suis revenu. J’ai appris avec lui à devenir un lecteur autonome, à
l’affût de la petite perle qui échappe aux mailles informatisées de
l’e-commerce, guettant les dernières sorties des petits éditeurs, piochant avidement
dans le répertoire des œuvres de mes auteurs favoris.
J’ai pris l’habitude de visiter les librairies de mes
villes de passage, demandant des conseils à des libraires passionnés, toujours
ravis de parler de leur dernier coup de cœur, d’avoir un échange qui nous
enrichissait mutuellement.
Aujourd’hui, j’ai déserté la
zone. Totalement et sans états d’âme, j’ai quitté Amazon.
Après réflexion, je me suis dit que ce qui était un
geste naturel pour moi était aussi un geste citoyen.
Amazon crée beaucoup moins d’emplois directs que les
librairies. Amazon a des pratiques commerciales choquantes, se fiscalise
douteusement. Amazon est un géant qui n’a pas besoin de mon argent. Amazon ne
me sourit pas, ne me donne pas de conseils personnalisés. Amazon remplace le contact
humain par un algorithme lobotomisant,
avalant goulûment vos e-portefeuilles.
Amazon n’est pas le seul géant de l’e-commerce, mais
certainement le plus emblématique. Qu’il se rassure, j’ai déserté les autres
aussi. Comme Amazon, ils ont trop fait de tort aux petits commerces de
proximité pour que mon portefeuille continue de les enrichir.
Si aujourd’hui ma ville rayonne un peu plus qu’hier,
c’est grâce à sa petite librairie.
Je ne veux pas qu’Amazon lui fasse de l’ombre. Je ne
veux plus devoir retourner me cacher derrière mon écran 19 pouces quand tous
les géants de l’e-commerce auront fait disparaitre les dernières librairies
authentiques.
J’étais comme vous.
Je ne le serai plus.
Et si vous faisiez comme moi ? Et si vous
choisissiez judicieusement à qui vous achetez vos livres ?
Et si vous vous désamazoniez ?
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